La Ré-volte de Schrödinger
Et soudain, c'est comme si la tyrannie est décimée, la pensée rétablie. Le Chronor tel que je l'ai connu n'est plus, les six lettres qu'il m'avait attribuées redistribuées, repensées, rassemblées au beau milieu de ces titres d'œuvres que jamais je n'ai pu oublier, que j'ai aimées plus que tout et qu'on m'avait arrachées. Je ressens le flot de la création m'emporter presque sans merci me balloter à travers les tourbillons de l'esprit, me fracasser sur les rivages des possibilités au rythme des aiguilles qui bougent, dansent, virevoltent sur le cadran, la résurrection de la pensée après des décennies passées enterrées sous la norme et la mollesse et l'obéissance, à dormir en attendant qu'on la réveille, qu'on l'effleure, qu'on la sente.
Je ferme les yeux et plus aucune frontière ne semble exister autour de moi, en moi, et je parviens même à ignorer la voix qui hurle dans ma tête, qui s'affole devant tant d'activité électrique, une anarchie non prévue, non voulue, presque détruite à coups de technoconfort et d'uniformisation mais pourtant là, toujours présente, une abomination aussi inextinguible que le soleil, une merveille aussi immortelle que le temps vécu, celui-là même qui se remet en marche, le temps de l'introspection, le temps des penseurs. J'imagine une armée de Néo-Chronors à travers Corvus, je fantasme un tsunami de couleurs se déversant sur la grisaille, j'entrevois même le retour des horloges, j'entends le tic-tac des aiguilles.
Je vois mon nom, mon vrai nom, et je cesse d'être Schrdr, je ne suis même plus vraiment Schrödinger. Je retrouve ce qu'on m'a pris sans violence et qui m'a pourtant fait l'effet d'une gifle, une autre suite de lettres, mais une suite de lettres porteuse de sens, de vivant, d'identité.
Julia Bosquet, je pense, ou bien je le dis, je le rêve, je le crie, je le pleure, ou peut-être tout ça à la fois, syllabes interdites mais jamais oubliées, volcan endormi depuis trop longtemps entré en éruption, île perdue au milieu d'un océan déchaîné.
Je répète mon nom et, le Néo-Chronor entre les mains, je sors la tête haute, prête à le montrer au reste du monde.